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La quête

La quête est sans aucun doute ce qui différencie le plus distinctement le travail des chiens d'arrêt. Elle exprime la passion de la chasse et le style de chaque race ainsi que la personnalité et l'intelligence de chaque sujet. Elle varie aussi selon les capacités physiques et les aptitudes de tel ou tel chien mais aussi selon les objectifs de chacun : quête de chasse pratique pour le chasseur, quête de chasse pour l'amateur de field-trial ou grande quête pour le dresseur professionnel.

En Italie, les meilleurs dresseurs professionnels rivalisent d'habileté dans cette discipline appelée aussi quête à l'anglaise et délaissent souvent la quête de chasse au profit des amateurs. En France, la plupart des « pros » présentent en quête de chasse et quelques uns seulement concourent en grande quête. Par contre, on peut constater que depuis quelques années certains dresseurs commencent à s'intéresser de plus en plus à cette discipline, sans doute pour se démarquer et sortir de l'anonymat de la quête de chasse où les concurrents sont de plus en plus nombreux avec beaucoup de bons chiens très bien mis. Cette évolution est logique compte tenu de l'engouement croissant pour les fields car il ne fait aucun doute que c'est bien en participant à cette épreuve que la fine cravache peut et doit faire la différence, surtout s'il veut élever sa notoriété au niveau européen.

Quand on demande à René Piat, dresseur emblématique de la grande quête en France, de donner un avis sur tel ou tel professionnel, il résume d'une phrase lapidaire dont il a le secret cette hiérarchie qu'il établit entre les dresseurs  : « Il n'y a que les dresseurs de grande quête qui m'intéressent »... Nous reviendrons sur cette compétition si particulière mais commençons par le début : la quête de chasse pratique.

A la chasse, il faut un contrôle absolu de son chien. 50 à 60 mètres autour du conducteur sont un maximum pour la majorité des chasseurs qui préfèrent une très bonne obéissance à une trop grande liberté d'action. Cette quête restreinte permet de servir le chien dans de bonnes conditions sans avoir à courir ou à se précipiter et sans risquer un envol prématuré du gibier. Le chasseur aime arriver tranquillement à côté de son chien à l'arrêt et le regarder longuement avant de le faire couler. Il ne prend pas des points mais sert des arrêts. Je sais que beaucoup de trialisants voudraient imposer l'idée qu'il faut chasser avec des chiens de field et faire de ces derniers le modèle du chien de chasse pratique mais il faut bien comprendre que ce n'est pas forcément ce que recherche la plupart des chasseurs. On peut aussi chasser par plaisir sans rechercher ni la performance sportive, ni la perfection du dressage .

Par contre, tous souhaitent bien retrouver dans la descendance du trialer la passion de la chasse, l'intelligence voire le style qu'il a démontré sous l'autorité de juges qualifiés. Ils comprennent donc l'utilité des concours qui impliquent obligatoirement une sélection rigoureuse de la part des éleveurs s'ils veulent briller.

La meilleur façon d'obtenir cette quête restreinte est de convaincre le chien que le gibier se trouve très souvent à proximité de vous. Quand il est jeune, lâchez à son insu une caille ou un perdreau près de vous et il va l'arrêter dans vos bottes. En répétant cette leçon assez souvent, on arrive ainsi à l'habituer à chasser dans un périmètre assez restreint qu'il agrandira un peu plus à la chasse face à du gibier sauvage.

La quête de chasse est l'expression sportive de la chasse au chien d'arrêt. On utilise les qualités naturelles du chien en lui imposant un cadre précis pour s'exprimer : la quête croisée.

Le trialer doit croiser devant son conducteur avec des lacets sur les côtés de 150 à 200 mètres. L'exploration du terrain doit être méthodique avec une profondeur qui ne doit pas dépasser une trentaine de mètres, voire moins en gibier tiré. On a coutume de dire que le chien doit passer devant son conducteur à moins d'une portée de fusil.

Le réglage de la quête devient alors une phase importante du dressage puisqu'il faut encourager la vitesse et l'entreprise tout en maintenant une obéissance parfaite sur les côtés et en profondeur ; en un mot il faut canaliser son élève.
La plupart du temps, il faut commencer par obtenir des lacets de dix à vingt mètres en s'aidant éventuellement d'un cordeau puis de trente à quarante mètres et enfin laisser progressivement le chien allonger sur les côtés.

On peut aussi le mettre en couple avec un chien plus expérimenté et bien dressé pour qu'il copie sa manière de chasser mais il faudra assez vite le remettre en solo pour obtenir une obéissance parfaite, ne serait-ce qu'au rappel.

Chaque dresseur à sa méthode et tous arrivent à peu près à un résultat similaire même si des différences sont bien visibles pour l'œil exercé : certaines quêtes sont très mécanisées, d'autres le sont moins. Il y en a pour tous les goûts et chaque juge a ses propres critères d'appréciation, ce qui peut parfois poser des problèmes.

En ce qui me concerne, c'est la qualité des virages que j'examine en premier : ils doivent être larges et permettent une ouverture naturelle de la quête vers le terrain à explorer. Des virages serrés, en épingle à cheveux dénotent d'un dressage trop méthodique ne permettant pas au chien d'exprimer pleinement sa passion de la chasse et ses véritables qualités naturelles. En fait, en bout de lacet, il semble toujours revenir vers son présentateur pour obtenir l'autorisation de continuer.

Un chien qui découpe méthodiquement son terrain, sans prendre le risque de remonter des émanations pour les contrôler et sans trop ouvrir ses lacets finit par se faire arrêter par les perdreaux quand le terrain est vifs en oiseaux mais il ne démontre rien de plus qu'un dressage au bouton. C'est un bon artisan à qui le dresseur a appris à ne pas faire de fautes, un râteau... Très utiles sur des terrains giboyeux où l'on a pourrait presque se passer de lui, il est beaucoup moins efficaces quand il faut aller chercher les points.

La quête doit mettre en valeur la personnalité du chien et le style inhérent à sa race sans laisser transparaître aucune trace de dressage : on ne le siffle pas et on le dirige le moins possible.

Le meilleur compliment, c'est celui qu'on vous fait sans le savoir et d'un air entendu : «  Il est plaisant ce chien et se place bien sur le terrain » !... Autrement dit : il a du être facile à mettre...

Tous les grands dresseurs ont des chiens qui ont l'air d'avoir été facile à dresser... En fait, c'est parce qu'ils sont déjà dressés et que cela ne se voit pas !

Revenons maintenant à cette grande quête, cette discipline de l'extrême qu'il n'est pas donné de comprendre au premier regard, au premier parcours auquel on assiste. Il faut se faire un œil...

La grande quête, ce n'est pas des chiens qui vont plus loin sur les côtés que les autres et il ne suffit pas d'engager les chiens de quête de chasse au dessus de la note pour atteindre le niveau requis. Il faut des combattants, avides d'espaces et d'oiseaux, capables d'aller au-delà des limites de leur race. Les juges ne sont pas là pour apprécier et récompenser le travail d'un dresseur qui tenterait de fabriquer un chien de grande quête à coup de sifflet, de grands gestes ou de « Allez, Allez !incessants mais celui du chien qui présente réellement ce potentiel, préservé par le dressage. Un chien est grande quête ou il ne l'est pas et c'est la première question que doit se poser le jury.

L'objectif du dresseur est de faire concourir un chien dont les qualités naturelles dépassent très largement celles de la moyenne des autres chiens et sa prestation doit donc démontrer cette très nette supériorité. Le trialer doit donc explorer son terrain librement, sans être dirigé ; sa quête doit être centrée sur son conducteur avec une profondeur proportionnelle à l'étendue de ses lacets sur les côtés. Il n'est donc pas question de mesurer précisément mais d'apprécier l'homogénéité et la continuité du parcours que le chien est capable de produire . Une ouverture exagérée avec des lacets irréguliers sur les côtés, ce n'est pas bon... Un chien qui part en pointe, coupe les lacets de son concurrent ou le talonne, c'est un chien qui court au dessus de ses moyens même s'il peut faire illusion. Un parcours  avec 600 à 700 mètres sur les côtés et 80 mètres d'ouverture, maintenu pendant un quart d'heure, c'est du grand art surtout si le chien explore parfaitement son terrain, domine son concurrent et prend un point.  Des lacets de 600 mètres avec une ouverture de 30 à 40 mètres, c'est de la quête de chasse améliorée.

Pour obtenir un tel résultat, il faut une longue préparation, environ deux ans. La première année, on laisse son élève courir dans les perdreaux sans contrainte puis progressivement on lui enseigne la sagesse à l'envol et l'ignorance totale des lièvres. Au fil du temps et des sorties, le lien avec le dresseur finit par s'établir; le chien cadre sa quête sur celui-ci et rentre à la fin du parcours. La deuxième année, on commence à s'intéresser au couple et donc au patron. Bientôt arrive le temps des premières présentations avec un chien nouveau tous les deux jours qu'il faut jauger, combattre et vaincre. Un chien de grande quête doit être préparé psychologiquement et physiquement comme un boxeur en vue d'un combat. C'est un long voyage à deux...

Les grands dresseurs de grande quête ne fondent pas leur méthode sur l'obéissance comme beaucoup de dresseurs de quête de chasse mais sur un conditionnement progressif des exceptionnelles qualités naturelles des sujets qu'ils entraînent. Les méthodes couramment  utilisées en quête de chasse démontrent leurs limites dans cette épreuve très exigeante. On lâche dans perdreaux et on laisse courir... L'obéissance vient à la fin du dressage, tout naturellement... J'appelle cela de la connivence.

De la chasse pratique à la grande quête, il n'y a qu'un pas. Le chasseur de bécasse expérimenté qui laisse son chien chasser comme il l'entend pendant les deux premières années au risque de faire voler nombre d'oiseaux est parfois plus proche du dresseur de grande quête que de celui qui passe ses journées à faire obéir ses chiens de peur qu'il ne commette des fautes. Au final, le résultat n'est pas le même : d'un côté il y a un bon ouvrier et de l'autre un artiste.

Pour que cette discipline prestigieuse perdure et que ces titans continuent de s'affronter dans la plaine, il faut donc que les chiens, les dresseurs et aussi les juges aient l'esprit « grande quête ». Dans les trois cas, c'est inné...Cela ne s'apprend pas.

Au Brésil, les footballeurs font des matchs improvisés sur la plage et laissent place à leur créativité, à leur instinct ; personne ne leur apprend à dribbler, shooter... Ils apprennent en jouant, sur le terrain, balle au pied.

Ils sont « grande quête » dans leur tête !

Thierry Hamon

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